
Réalisateur : Bong Joon-Ho
Année de Sortie : 2025
Origine : États-Unis
Genre : Fable Politique
Durée : 2h17
Le Roy du Bis : 6,5/10
Thibaud Savignol : 5/10
Un Pattinson peut en cacher un autre
On y est. Après un an de reports (officiellement pour parfaire la post-production, officieusement suite aux désaccords avec le studio quant au final cut), Mickey 17 débarque enfin sur nos écrans. Si la carrière de Bong Joon-ho parlait déjà pour lui depuis le traumatisme Memories of Murder il y a déjà plus de vingt ans, le réalisateur coréen est sur un nuage depuis le succès phénoménal de son Parasite. Adulé aussi bien par les critiques (Palme d’or et 4 Oscars) que le public (250 millions de recettes à travers le monde), le cinéaste n’avait que l’embarras du choix pour son projet suivant.
Une mort sans fin
Grâce à la carte blanche de Warner, il jeta son dévolu sur le roman Mickey 7 d’Edward Ashton. Retitré Mickey 17, l’œuvre assume frontalement la farce politique, citant directement l’année de la première prise de pouvoir de Donald Trump. Le film a été tourné en 2022, l’équipe était alors loin de s’imaginer un second mandat du candidat républicain. Car oui, ce blockbuster SF budgété à 150 millions de dollars ne cherche plus à inscrire son discours en filigrane du récit (comme le faisait plus ou moins Snowpiercer), mais bien à faire de son script l’enjeu central d’un discours anti-impérialisme, dénonçant notamment l’ultra-libéralisme morbide vers lequel se dirigent nos sociétés à grand pas.
Mickey, le «remplaçable», fait partie d’une expédition humaine de colonisation de l’espace. Les missions les plus périlleuses lui sont confiées, conduisant irrémédiablement à son trépas. Une fois débarrassés de son corps, une équipe de scientifiques le recomposent grâce à une imprimante 3D géante, et rechargent sa mémoire. Affublé d’un nouveau numéro à chacune de ses résurrections, Mickey apparaît comme l’aboutissement infernal du capitalisme, être humain désormais réduit à une marchandise exploitable ad vitam æternam. Jusqu’au jour où un nouveau Mickey apparaît alors que l’ancien n’est pas encore décédé, créant des multiples ainsi que la panique à bord.
Pour concrétiser ses ambitions, Bong Joon-ho a mis les petits plats dans les grands. Si on retrouve l’immortel Darius Khondji à la photo (Okja c’était déjà lui), notons également le retour du monteur et du compositeur de Parasite, respectivement Yang Jin-mo et Jung Jae-il. Devant la caméra, une fois n’est pas coutume, Robert Pattinson dévore l’écran, et prouve à nouveau, si besoin était, qu’il est l’un des plus grands acteurs de sa génération. Naomi Ackie livre une prestation démentielle à ses côtés, tandis que Mark Ruffalo et Toni Colette peinent à convaincre à travers l’hyper caricature des puissants de ce monde qu’ils proposent.

Crash en plein vol
De fait, Mickey 17 parvient non sans mal à nous transporter dans son univers, à la direction artistique atypique, loin du tout venant hollywoodien. Les célèbres ralentis ultra-esthétisés de son auteur sont de la partie, quelques visions dantesques prouvent le talent du bonhomme a gérer un tel projet, et la lisibilité de l’action ne fait jamais défaut. Si les wagons du Snowpiercer illustraient chacun un échelon social différent, et que les prolos de The Host chassaient la créature à coups de cocktails Molotov (symbole par excellence de la contestation), la radicalité du discours est ici poussée à son paroxysme, faisant face aux potentiels démons d’une Amérique fascisante. On sait que la réalité a désormais rattrapé la fiction.
Mais malheureusement, pour la première fois de sa carrière, la mécanique du cinéaste coréen se grippe. Bien que la première partie soit un modèle de fluidité narrative (voix off, flash back, présent), exploitant toute la drôlerie de son concept, la suite s’essouffle rapidement. Tout apparaît artificiel, l’outrance recherchée fait rarement mouche, parce que peut-être plus assez décalée par rapport au réel. On se retrouve face à une caricature grossière de Donald Trump, qui ne provoque même pas l’effet cathartique recherché, le bonhomme étant déjà sa propre parodie au jour le jour. Une satire trop littérale, presque trop bas du front pour son propre bien.
La mise en scène ne parvient jamais à transcender ce trop plein qui déborde sans cesse du récit, entre comique de situations, sous-intrigues alourdissant le propos (la disparition quasi instantanée du personnage de Anamaria Vartolomei) et un climax ô combien déceptif ; quid du formidable potentiel d’un tel pitch, de l’exploitation infini d’un individu. On aurait aimé que le long-métrage assume ce pur postulat SF, cette fin de l’humanité comme on l’entend aujourd’hui (un corps pour un seul individu), et se confronte à ce vertige idéologique. Mais la portée philosophique d’une telle avancée est rapidement écartée au détour d’une séquence cocasse (un homme tue, et son double lui sert d’alibi). Bong Joon-ho a préféré la fable politique frontale, domaine dans lequel il n’est peut-être pas aussi à l’aise qu’espéré, rappelant les lourdeurs typiques du cinéma de Lánthimos.
Sans trop en dévoiler, et de manière assez incompréhensible, le dernier acte s’aventure clairement sur les terres du Starship Troopers de Verhoeven, la férocité et l’ironie mordante en moins. Miroir d’une humanité conquérante, de mégalos à la faim insatiable (Musk et Bezos se reconnaitront), l’antagoniste écrase quiconque se dresse sur son chemin, au détriment de la moindre empathie. Le message est clair comme de l’eau de roche, d’une naïveté confondante (la colonisation forcée c’est mal, m’voyez), laissant un sentiment d’inachevé lorsque démarre le générique. Bien emballé et clinquant, on a tout de même le sentiment d’être passé à côté du grand film promis.



