
Réalisateur : Wes Craven
Année de Sortie : 1977
Origine : États-Unis
Genre : Vacances Anthropophages
Durée : 1h29
Le Roy du Bis : 7,5/10
Thibaud Savignol : 7/10
La Caravane de Feu
Les années 70 sonnent la fin des Trente Glorieuses. Un vent de pessimisme souffle sur les États-Unis, revenant la queue entre les jambes de la Guerre du Vietnam. Les crises sont nombreuses : institutionnelles, financières, et spirituelles. Le triomphalisme yankee a pris du plomb dans l’aile et le monstre autrefois extérieur est désormais niché en plein cœur du pays. Ce marasme sociologique profite aux tueurs en série (Ted Bundy, John Wayne Gacy) qui sévissent en toute impunité. Certains producteurs opportunistes se nourrissent de ces faits divers pour gaver le public de films d’exploitations.
Œil pour Œil
Alors que Tobe Hooper peinait à confirmer son nouveau statut de maître de l’horreur (Le Crocodile de la Mort), Wes Craven réalise que son unique planche de salut réside dans sa capacité à heurter la sensibilité du public, comme il l’avait fait quelques années plus tôt avec La Dernière Maison sur la Gauche. Sous l’impulsion de son producteur Peter Locke, le cinéaste adapte un authentique fait divers intervenu quelques siècles plus tôt dans les Highlands. Une famille vivant recluse dans les montagnes s’attaquait aux voyageurs égarés pour les dépecer et les manger. Lorsqu’ils furent enfin arrêtés, ils subirent des châtiments aussi horribles que ceux qu’ils avaient infligés à leurs victimes. L’ancien professeur de philosophie voit dans ce sujet la source idéale d’un conflit larvé entre deux Amériques que tout oppose.
La Colline a des yeux prend place dans le désert du Nevada près de Yucca Flat, un terrain autrefois employé par l’Armée américaine pour effectuer des essais nucléaires en plein air. C’est d’ailleurs dans cet endroit chargé en radio-activité que John Wayne et toute l’équipe de production du film Le Conquérant développèrent des cancers en cascade, après avoir été exposés aux zones irradiées où le taux de radioactivité y était 400 fois supérieur à la dose normalement « supportable » pour le corps humain. Cette destination de rêve, c’est celle que choisit les Carter afin de faire étape dans leur trajet les menant vers la Californie. Mais le camping-car tombe en panne, et la famille est bientôt attaquée par une tribu anthropophage vivant dans les collines.

Dans ce survival minéral et crépusculaire, il est moins question de survivance que de domination et de vengeance, à travers un jeu de chaises musicales réunissant deux familles sur le même terrain de chasse. Comme son titre indique, La Colline a des yeux tend à faire de son environnement un organisme vivant, épiant les moindres faits et gestes de ses visiteurs. Les travellings, plans subjectifs, et différents mouvements de caméra supposent une présence dans ces monts rocheux, observant les moindres faits et gestes des protagonistes. Les halètements, bruitages, et silhouettes apparaissant furtivement sur les hauteurs participent à l’atmosphère horrifique du film.
Sang pour Sang
Quelque soit ses origines, le schéma familial reste inchangé et repose sur un patriarcat vieux comme le monde («Papa Jupiter !») qui ne demande qu’à s’effondrer. Alors que La Dernière Maison sur la Gauche confronte le public à la brutalité du monde contemporain et à sa contamination, La Colline a des yeux va plus loin dans ses thématiques, jusqu’au choix de son environnement, interrogeant la conquête de l’Ouest. Le désert constitue ainsi l’ultime frontière. Ces citadins avec leur caravane s’apparentent aux premiers colons élisant domicile dans une zone de non-droit, déjà occupée par une civilisation grégaire aux pratiques tribales.
Comme souvent chez Wes Craven, le discours prévaut sur les intentions. Face à la sauvagerie des autochtones locaux, les visiteurs répondront par une cruauté inouïe (les enfants Carter utilisant le cadavre de leur mère comme un leurre, la sophistication d’un piège particulièrement sournois). Le cinéaste prend donc ses distances sur ces deux clans, qu’ils laissent s’entre-tuer sans afficher le moindre parti pris. La mise en scène incisive se fait le récit de cette féroce opposition ramenant l’individu à son instinct primal.
En attribuant des noms de planètes à cette tribu anthropophage (Mars, Jupiter, Mercure, Pluton), le réalisateur remonte jusqu’au berceau civilisationnel qu’il éclaire d’une lueur incandescente et iconoclaste (le patriarche de la famille Carter crucifié et brûlé vif), avant de l’atomiser sur l’autel de la barbarie (la caravane incendiaire). La cellule familiale, fondement du seuil institutionnel sur lequel repose le pays, en ressort désunie et meurtrie.



