
Réalisateur : Hiroyuki Imaishi
Année de Sortie : 2022
Origine : États-Unis
Genre : Animation Cyberpunk
Durée : 10 X 25 minutes
Thibaud Savignol : 8/10
Big City Nights
Difficile de faire plus Cyberpunk que Cyberpunk 2077. Toutes les thématiques, toutes les obsessions du genre y sont condensées : inégalités spatiales, corporations carnassières, développement du surhomme, augmentations physiques, présence du net comme membrane du réel ou encore perte d’identité. L’objectif n’est pas forcément de philosopher dessus directement, mais tout est intelligemment mis en scène pour donner matière à réfléchir au joueur. L’univers développé est d’une richesse infinie et la quête de votre personnage, à travers moult rencontres et affrontements, vous immerge dans ce décalque excessif d’un futur possible (probable ?) de l’humanité.
Le mastodon Cyberpunk en 5h
Si son lancement s’est révélé très compliqué, notamment parce que le jeu n’était pas vraiment terminé ni optimisé pour la génération de consoles précédentes, Cyberpunk 2077 constitue aujourd’hui un magnum opus vidéoludique, grâce au suivi acharné de développeurs à charge de revanche. En juin 2020, avant sa sortie en décembre de la même année, un contrat est passé avec le studio d’animation japonais Trigger pour réaliser une courte série animée dans l’univers du jeu : Cyberpunk: Edgerunners. Netflix se chargeant de la diffusion d’ici septembre 2022.

Dès l’introduction les fans seront rassurés. L’épisode débute sur la traque d’un mercenaire atteint de cyberpsychose, soit l’étape terminale d’un être humain lorsque son corps abrite une trop grande quantité de composés technologiques. Parmi les nombreuses problématiques qu’aborde le genre Cyberpunk, la mutation du corps, sa transformation en une nouvelle entité mi-organique mi-mécanique est peut-être la plus répandue.
Elle découle simplement de nos propres interrogations face aux progrès fulgurants de la science ces dernières décennies (greffes, membres bioniques), tout en étant visuellement la plus simple et la plus impactante en terme de représentation. On a tous en tête la mutation métallique de Tetsuo dans Akira, ou la naissance d’acier de Robocop. Le corps apparaît dès lors comme le défi principal du récit et terrain de jeu d’une course à la surpuissance.
Une fidélité absolue
Le boulot d’adaptation du studio Trigger est un modèle du genre, ayant réussi à conserver l’identité propre à Cybrpunk 2077 tout en amenant leur patte stylistique identifiable entre mille. On reconnaît clairement les quartiers de la cité, plusieurs lieux emblématiques (la tour Arasaka, l’Afterlife) ainsi que les ambiances urbaines propres au jeu. Ces dernières bénéficient d’une colorimétrie fluo démentielle, qui explose la rétine et embrasse totalement la charte visuelle du genre, héritée des villes asiatiques (Hong-Kong/Tokyo) comme références depuis Blade Runner et Neuromancer.
Surtout, à quelques exceptions prêt, mais presques obligatoires, on ne ressent aucune lourdeur d’écriture. Chaque élément est imbriqué progressivement, au fur et à mesure des épisodes, permettant au néophyte de ne jamais se sentir perdu, tandis que l’amoureux du matériau vidéoludique se délectera de retrouver tout la faune et la flore de Night City. On a affaire aux différentes classes (netrunner, edgerunner), aux gangs qui phagocytent la ville (Tigers Claws, Maelstrom), tout en parcourant la ville à la rencontre des corpos qui se partagent le pouvoir (Arasaka et Militech) au détour d’un trajet en taxi Delamain.

Une vraie progression vidéoludique
Ce qui surprend ensuite, c’est la facilité avec laquelle la série parvient à condenser l’énormité de son modèle (monde ouvert, des dizaines d’heures de jeu possibles) en un scénario d’une efficacité redoutable, tout en intégrant nombre d’éléments propres à son univers. Suite au décès tragique de sa mère, David Martinez intègre un clan de mercenaires qui le mèneront du caniveau vers les sommets. A travers ce personnage au potentiel énorme mais blanc de toute expérience, le script adopte la forme vidéo-ludique, reflétant la courbe de progression d’un avatar de jeu vidéo (missions, renforcement des liens). Les cinq premiers épisodes servent avant tout de longue exposition, de montée en niveaux et en compétences pour le protagoniste principal, miroir du spectateur/joueur.
Le deuxième arc du récit, qui débute à partir de l’épisode 6, peut ainsi s’émanciper de son héritage et tracer sa propre voie, tout en continuant à développer le lore Cyberpunk 2077. Si dès le départ l’éclatement social urbain est mis en scène via le choix du point de vue, suivant toujours celui des laissés pour compte contemplant les grattes ciels comme des étoiles inaccessibles, la seconde partie ne fera que confirmer cette orientation politique. Plaisir trop rare que de voir le suffixe «punk» entrée dans l’équation. Les corporations montrent enfin leur vrai visage, manipulent les masses et ceux d’en bas, assoiffées de pouvoir et prêtes à tout pour le conserver. La violence se déchaîne, crescendo, jusqu’au final intense et furibard, mais dont tout le monde ne sortira pas indemne.
Cette rage punk ne pouvait que convenir au studio Trigger, dont l’animation rentre dedans où chaque action est ultra-stylisée à l’excès, fusionne parfaitement avec cet univers. Un univers violent, inégalitaire, désincarné, où chaque étincelle d’humanité peut raviver les âmes derrière les machines. Egderunners se pose en festin pour les yeux.
Chaque épisode apporte son lot d’idées créatives, que ce soit pour décupler les sensations de vitesse, déchiqueter les chairs, retranscrire la puissance des implants, ou seulement se poser en balade mélancolique à travers les rues labyrinthiques de Night City. Ajoutez des nappes électro pop pour vous toucher en plein cœur, de la techno comme montée d’adrénaline ou du pur black métal pour transcender votre colère, et vous obtenez un concentré de fureur et d’émotions qui emporte tout sur son passage.