
Réalisateur : Drew Hancock
Année de Sortie : 2024
Origine : États-Unis
Genre : Jeu De Massacre
Durée : 1h37
Thibaud Savignol : 6/10
Sortie en salles : 29 janvier 2025
Poupée Gonflable
Grande question que les représentations féministes ou non au cinéma ces dernières années. Certains en font même l’épicentre de leur campagne marketing, comme Barbie en 2023 ou Pauvres Créatures l’année dernière. Au-delà des qualités plastiques indéniables de ces deux œuvres, la première s’apparentait davantage à un tract mercantile qu’au pamphlet politique qu’elle rêvait d’être, tandis que la seconde n’enfonçait que des portes ouvertes depuis bien longtemps, conséquence de l’ego boursouflé de son auteur. Loin des grosses productions, les amoureux du genre le savent, c’est souvent à une échelle plus réduite que l’on peut réellement jouir d’une méchanceté bien plus acérée.
Mon ami(e) robot
Réputé avant tout pour ses écrits télévisuels (Suburgatory, My Dead Ex), Drew Hancock signe en 2023 le script de Companion pour le grand écran. Si Zach Cregger doit dans un premier temps se charger de la réalisation, suite au succès de son redoutable Barbare, il décide de laisser la main au scénariste, qu’il juge plus légitime pour illustrer son propre travail. Cregger reste tout de même à la production pour chapeauter ce premier long-métrage, budgété à 10 millions de dollars. Suffisamment pour s’assurer une certaine tenue esthétique, mais assez peu pour se permettre une satire grinçante et moins politiquement correcte des rapports hommes/femmes.
Lors d’un week-end organisé entre amis dans une demeure luxueuse, les choses ne vont pas se dérouler comme prévu. Afin d’argumenter cette critique, il est impossible de pas révéler un peu plus de l’intrigue. Rassurez-vous, le twist survient au bout d’un gros quart d’heure de projection. Et pour ceux qui auraient vu la bande-annonce ou seulement l’affiche, il sont déjà au courant, les trailers n’ayant fait aucun secret des enjeux du récit. Car oui, il se trouve que le couple principal est composé d’un homme de chair et de sang (Josh) mais également d’une androïde (Iris, l’anagramme de Siri).

L’acuité du projet, est de faire de cet élément le centre de la narration. Toutes les péripéties découlent de ce retournement, provoquant un effet domino au jeu de massacre, où chacun ne rentrera pas sain et sauf chez lui à la fin du week-end. À ce titre, Hancock peut s’appuyer sur un script solide, où d’autres révélations viendront mettre en péril les relations des uns aux autres. Si la mise en scène somme toute assez classique ne s’embarrasse pas d’effets de style, la magie opère grâce à un montage affûté (voir ces cuts très brusques à l’effet humoristique implacable) et à une dynamique de l’intrigue qui ne faiblit qu’en de rares occasions.
Les amitiés vont progressivement se déliter, tous cherchant à sauver leur peau face à un robot maltraité qui décide enfin de saisir sa chance face à son propriétaire. Quelques coups de couteau et un visage défoncé à coup de crosse de pistolet plus tard, l’efficacité très premier degré et série B de l’ensemble révèle le cœur de Companion. Cette comédie humaine qui frôle le grotesque du cinéma Bis (un robot vengeur), amorce tour à tour deux réflexions terriblement d’actualité.
La géante de fer
La première, flagrante mais jamais débilement textualisée comme le faisait Barbie («je suis une femme et la vie est injuste»), renvoie à l’objectification pure et simple du genre féminin. Iris est un robot de compagnie, entièrement paramétrable (couleur des yeux, voix) dont l’intelligence ne peut excéder un certain seul, tout comme elle peut être réduite au néant (Iris est paramétrée à 40% par Josh, car une femme éclairée, sauve qui peut !). Mais surtout, elle sert à satisfaire les désirs de Josh sans la moindre contrariété, l’androïde étant par nature profondément amoureuse de son propriétaire. La possession, le contrôle et la violence exercée par les hommes sont explicités frontalement.
De l’autre côté du prisme, manipulateur et se plaignant en permanence de sa condition (appartement minable, pas de «vraie» petite amie), Josh incarne le parfait Incel. Vous savez, ces hommes aigris qui rejettent la faute de leur célibat sur les femmes, la société et l’évolution des mœurs, qui basculent rapidement dans la misogynie et la misanthropie, de par leur frustration sexuelle. Certains vont même jusqu’à estimer que l’acte d’amour est un dû et qu’il est injuste que des femmes le refusent aux hommes. Souvent proches des groupes masculinistes et parfois complotistes, ces individus représentent assurément un bel avenir pour l’humanité.

Au-delà de ces sujets d’actualité plutôt bouillonnant, se greffe une réflexion ancrée depuis longtemps, celle de notre rapport à l’alter ego robotique. Dès leur invention, les êtres de métal n’ont cessé de nous subjuguer, de nous interroger voire de nous effrayer. Jadis équivalent à des boites de conserve sur pattes, ils n’ont jamais été aussi proches d’être nos semblables ces dernières années. Si leur apparence humaine a longtemps été un enjeu pour les chercheurs, créant cette fameuse vallée de l’étrange, leur intellect a récemment fait des bonds en avant suite à l’arrivée des intelligences artificielles.
Iris incarne totalement cette relation d’attraction/répulsion. Pouvant désormais échapper aux contraintes du réel, la tentation de l’individu programmé par nos soins, répondant à nos goûts et à nos attentes, n’a pas de mal à en convaincre plus d’un. Il est plus simple de créer un être à son image et soumis, que de se confronter aux aléas et à la répartie d’un caractère humain. Oui, s’intégrer socialement a toujours demandé un effort de soi, que certains aujourd’hui ne souhaitent plus endurer, préférant la compagnie des réseaux sociaux, la toxicité et les œillères de l’esprit qui vont avec.
Et même lorsque la relation a sa part de lumière (Josh aime sans doute profondément Iris), elle questionne sur la place que l’on donne à ces créatures d’acier. Peuvent-elles réellement exister, ressentir par elles-mêmes ? Sommes-nous capables de leur autoriser une quelconque liberté, ou ne servent-elles qu’à assouvir nos seuls besoins, loin de toute considération sociale ? Des questions soulevées depuis longtemps par la Science-Fiction (Blade Runner et sa suite), magistralement mises en scène dans le jeu vidéo Detroit, et ici intelligemment prolongées par Drew Hancock. Un jeu de massacre grinçant et sanglant, qui n’oublie pas de faire de son époque l’un des enjeux centraux de son récit. Barbie n’a plus qu’à aller se rhabiller !