
Réalisateur : Joachim Ronning
Année de Sortie : 2025
Origine : États-Unis
Genre : Monde Digital
Durée : 1h59
Thibaud Savignol : 5/10
Sortie en salle le 8 octobre 2025
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise I.A
19 novembre 2011. Le Galaxie d’Amnéville est chauffé comme pas deux par des hordes de groupies en chaleur. Le groupe 30 Seconds to Mars s’y produit, auréolé de son auteur/chanteur star, Jared Leto, ancien sex-symbol iconique des années 2000, désormais reconverti en gourou illuminé cumulant les plaintes pour conduite inappropriée. Témoignage de son boulard démesuré, l’une des chansons en concert ne sera pas joué par le groupe lui-même. Nous aurons droit à la place au clip du morceau en question, où l’acteur s’affiche torse saillant, éternel poseur adolescent, dans un noir et blanc faussement arty. 15 ans plus tard, rien n’a vraiment changé.
Jared GPT
Attaché au projet de longue date, Jared Leto voit avec ce nouvel opus l’occasion de briller à nouveau de mille feux sur nos écrans, lui qui a disparu depuis Blade Runner 2049. Après un Tron : L’Héritage agréable pour les yeux et les oreilles (Daft Punk à la musique, Claudio Miranda à la photo), une suite dans le même univers a toujours été envisagée, mais peinait à se concrétiser. Ce n’est qu’en 2017 que le projet va réellement prendre son envol, lorsque Jared Leto s’investit en tant que producteur et acteur principal, motivé à l’idée de jouer Ares, ce programme qui infiltre notre monde. Un personnage qui a survécu au cours des différentes réécritures, résonnant comme jamais avec l’invasion de l’intelligence artificielle dans notre quotidien.
Dans un futur proche, la société ENCOM est désormais aux mains d’Eve Kim, une brillante développeuse de jeux vidéo. En parallèle, le petit-fils de Dillinger, concurrent d’ENCOM, tente à tout prix de matérialiser ses programmes informatiques dans le monde réel ; seul problème, ses créations ne survivent pas au-delà de 29 minutes. Mais Kevin Flynn, héros du premier film, aurait laissé un code permettant de briser cette limite, et par conséquent les barrières entre le monde informatique et le notre. Ed Dillinger lance alors Ares à la poursuite d’Eve, un programme novateur, qui de sa liberté temporaire entamera sa propre émancipation.

Si les deux précédents volets s’amusaient à investir le monde numérique, illustration d’une révolution technologique inexorable et garde-fou à faire sauter, Tron : Ares emprunte le chemin inverse. Comme si ces univers étaient déjà dépassés, ou tout simplement investis depuis trop longtemps, le script se concentre sur les péripéties d’un programme (une IA, clairement) faisant le chemin inverse. Dès lors, on peut se questionner sur les positions de la firme aux grandes oreilles, première fossoyeuse d’emplois et du savoir-faire humain au profit des dernières technologies, toujours plus économes. Peut-on y voir, en filigrane, l’acception des intelligences artificielles à faire partie de notre monde, ni bonnes ni mauvaises, juste à embrasser telles quelles.
Parce que derrière cette grille de lecture forcément contemporaine, se cache d’abord un scénario incohérent en diable, sûrement dû aux nombreuses réécritures de ces dix dernières années. Tron n’a jamais été un modèle de vraisemblable, mais il tordait la suspension d’incrédulité seulement jusqu’à un certain point, notamment via son aspect novateur (l’utilisation intensive d’effets numériques), à une époque où l’informatique ouvrait de nouveaux champs des possibles. Mais ici, rien ne fait sens, l’utilisation des technologies n’est que survolée (imprimante 3D des IA, code miracle pour allonger leur durée de vie), comme McGuffin nécessaire à un rythme enlevé enchaînant les péripéties plus ou moins cohérentes.
C’était mieux avant
Pire, les dialogues sont navrants au possible, entre side-kick binaire, description de l’action, enjeux quasi-inexistants et syndrome Wikipédia. La séquence présentant la mère de Ed Dillinger est à ce titre effarante, Jared Leto explicitant pendant 20 secondes sa carrière, comme on lirait une biographie en ligne. Pas aidés par des personnages mono-caractérisés et un texte sans verve aucune, les acteurs font ce qu’ils peuvent.

Époque oblige, le film souffre d’un syndrome de nostalgie aiguë, Jared Leto balançant dans la seconde partie des clins d’œil incessants à la pop culture eighties, Rubbik’s Cube et Depeche Mode en porte étendard. Si Ares découvre le monde d’aujourd’hui, c’est pour mieux en glorifier une époque lointaine, doudou réconfortant de quinquagénaires en mal d’imagination. Point d’orgue à ce mal, un Jeff Bridges au jeu de j’en ai rien à foutre, apparaissant durant les quelques séquences dans l’univers du Tron 1982, bien au chaud devant son fond vert et les poches bien remplies.
Et pourtant, et pourtant. Grâce aux talents des artistes d’ILM, au savoir faire du directeur de la photo Jeff Cronenwrth (Fight Club, Gone Girl) et aux expérimentations de Nine Inch Nails, l’enrobage révèle l’intérêt de la projection. Ce rouge vif se marie à merveille aux compositions urbaines labyrinthiques, à l’image de la célèbre Grille de Tron. Plus rare dans cette version, la représentation du virtuel impressionne tout autant, notamment lors de cette incroyable séquence de piratage, où s’écharpent vaillamment bots rouges et bleus.
Les scènes d’action déménagent, mises en avant par un sens certain de la démesure, des plans harnachés aux protagonistes et décors façon Gopro, à une BO qui enrobe le tout d’une synthwave aux relents punks des plus galvanisants. Malgré un script d’une ineptie rare et un discours ambigu voire dangereux, Tron : Ares coche au moins la case du grand spectacle réussi. On sera bientôt à la solde des IA, mais on aura la classe.



