
Réalisateur : Herman Yau
Année de Sortie : 1993
Origine : Hong-Kong
Genre : Vigilante Movie
Durée : 1h30
Thibaud Savignol : 7/10
Prenez plutôt un Uber
Sorti la même année que le moralement dérangeant Untold Story, Taxi Hunter n’a pas bénéficié de l’aura de souffre de son prédécesseur. Le duo Anthony Wong/Herman Yau se reforme rapidement pour donner vie à cette longue descente aux enfers. Digne de l’extravagant Run and Kill avec sa capacité à engloutir ses protagonistes dans des spirales sans fin, le long-métrage se distingue par son traitement davantage frontal de la violence. Plus que ses excès graphiques, c’est comme bien souvent son ambiguïté moral qui en fait un candidat parfait à la Catégorie 3.
Ersatz de Catégorie 3
Pourtant, les sources se contredisent régulièrement à propos de l’appartenance ou non de Taxi Hunter à la célèbre et subversive Catégorie 3. À sa sortie en 1993 le film hérite d’un classement Catégorie 2, ce qui équivaut à déconseiller le films aux enfants et adolescents. Mais dans les bonus de la récente édition de 88 films, le producteur de l’époque évoque une classification Cat 3 lors de la parution du laser disc. En cause, une scène où un chauffeur de taxi se voit quasi décapité à travers la vitre de son véhicule, par la main du protagoniste principal, ramenant l’acte à une exécution capitale. Mais lorsque l’on trouve le fameux laser disc en vente sur Ebay, il est bien fait état d’une classification Cat 2. Mémoire vacillante ou défaut d’édition ? Difficile de trancher.
Bien qu’assez soft lors de ses mises à mort, l’atmosphère poisseuse et immorale du film en fait le parfait candidat à la Catégorie 3. À nouveau contacté par le producteur Tony Leung Hung-Wah, dont il avait réalisé le premier film de sa boîte de production, Best of the Best, Herman Yau se voit proposer le script de ce Taxi Hunter. Le jeune réalisateur continue de parfaire son CV de réalisateur débutant.

Kin, homme ordinaire presque barbant, voit sa vie basculer du jour au lendemain suite au décès de sa femme enceinte. Une mort tragique dont est responsable un chauffeur de taxi négligeant et cupide. Sa peine se transforme progressivement en haine, le poussant à traquer les taxiteurs abusifs et avides qui croiseront sa route. En parallèle, son meilleur ami est chargé de l’enquête, accompagné par un inspecteur gaffeur en roue libre totale.
Loin des détraqués total d‘Untold Story, Dr Lamb ou Ebola Syndrome, le récit s’intéresse davantage à un citoyen lambda, poussé à bout par les événements. Le trauma est si puissant, si féroce, que l’esprit se dérobe vers une fuite en avant à l’issue forcément funeste. On pense également au gaillard sympathique de Run and Kill, à l’origine d’un concours de circonstances ubuesques qui dépasse son erreur initiale.
C’est Anthony Wong qui prête ici ses traits au pauvre infortuné, qui aura tôt fait d’embrasser les codes du Vigilante à la Charles Bronson, débarrassant son quartier de ces voyous de chauffeurs. Bien qu’il soit un connard patent (il suffit de regarder ses interviews ou de lire deux trois papiers sur les coulisses de ses tournages), l’acteur Hongkongais, alors à ses débuts, fait démonstration de tout son talent. À l’opposé de ses frasques où il compose d’horribles êtres humains, il camp ici un monsieur tout le monde qui va progressivement basculer dans la folie, jusqu’à représenter le mal incarné. Kin devient une menace sourde, dissimulée au cœur de la nuit, qui aura tôt fait d’oublier sa quête vengeresse pour revêtir la cape d’un justicier expéditif.
Course vers la mort
Herman Yau capte avec intelligence cette lente décomposition, faite de frustration et de brusques embardées. Apparaissant bien sous tout rapport, autant sur le plan professionnel (une promotion l’attend) que personnel (il va être papa), Kin se montre même pataud lors d’un racket par un gang de chauffeurs de taxi. C’est le drame vécu et ses premières tentatives qui le verront prendre confiance en lui. Lorgnant à grande paire de jumelles sur le Taxi Driver de Scorsese, le protagoniste a le droit à sa séquence où il fait mumuse avec un pistolet dans un appartement, avant d’envahir les rues de sa présence féline et sanguinaire.

Bien qu’évitant le piège du «tous pourris» (certains chauffeurs sont épargnés pour bonne conduite), Taxi Hunter fait état d’une communauté opaque, qui n’hésite pas à mettre des coups de pression sur les usagers afin d’en tirer un maximum de pognon. Ils peuvent d’un coup de micro se retrouver si un client ose protester, quand ils ne rossent pas carrément ceux qui ne veulent pas céder au chantage financier. Des abus dont le film cherchait à faire état lorsque la profession manquait encore de réglementation, n’importe qui pouvant devenir chauffeur, sans compétence spécifique, si ce n’est celle de savoir tenir un volant. Et de se retrouver avec un psychopathe vous ramenant à votre domicile au cœur de la nuit.
Sur la forme, loin des envolées stylistiques à la John Woo ou Tsui Hark, Herman Yau affiche une patte proche de celle d’un Ringo Lam. Les quelques effets de style, accompagnés par une musique kitschouille à souhait, sont réservés aux séquences émotionnelles. La violence, elle, se veut plus sèche et directe, où la frontalité des mises à mort évoque par moment les thrillers viscéraux du Nouvel Hollywood. L’ambiance apparaît crapoteuse, baignée dans la nuit des bas-fonds de Hong-Kong, où une population interlope tente de subsister coûte que coûte, souvent arnaquée par ces chauffeurs sans vergogne.
Toute l’équipe, de la production aux acteurs, dégageait une confiance absolue dans sa quête de rentabilité et de récompenses. Anthony Wong se voyait même primé aux Hong Kong Films Awards. Ce sera le cas, mais pour son rôle dans Untold Story et non celui-ci. Une déception, lui qui estimait que jouer un salopard sadique demandait beaucoup moins de talent que d’interpréter un homme qui flirte en permanence avec la ligne rouge.
Le succès ne sera pas au rendez-vous, et Taxi Hunter marquera la fin de l’aventure pour la boîte Galaxy Films, après seulement deux projets. Le producteur estime que le public de l’époque n’était pas assez en colère, ne cherchait pas à affronter la société, et ne pouvait donc accepter totalement un tel film. Herman Yau lui, vaquera vers de nouveaux horizons, désireux de s’attaquer désormais à de plus grosses productions. Mais pour le spectateur, cette petite capsule noire et méchante, constitue une étape essentielle dans la montée en puissance du jeune réalisateur. Jusqu’au choc à venir trois ans plus, le légendaire Ebola Syndrome.