[Critique] – Sinners


Sinners affiche film

Réalisateur : Ryan Coogler

Année de Sortie : 2025

Origine : États-Unis

Genre : Vampires Du Mississippi

Durée : 2h11

Thibaud Savignol : 8/10

Sortie en salles : 16 avril 2024


Blacula


Après avoir rempli à ras-bord les poches de Disney (Black Panther a rapporté plus d’un milliard de dollars), il était temps pour Ryan Coogler de retourner à des projets un peu plus stimulants. Ayant désormais carte blanche, comme tout cinéaste à l’assise financière solide, le réalisateur pas encore quarantenaire s’attaque au genre horrifique. Plus que cela, il implante son histoire au cœur du Mississippi, terre de légendes, de folklore, mais aussi territoire tristement réputé pour sa chasse aux afro-américains. A l’instar d’un Jordan Peele avec son Get Out, Sinners promet une décharge de soufre à la hauteur de son sujet.

Mississippi Burning

Smoke & Stack, deux frères jumeaux, sont de retour au bercail après plusieurs années passées à Chicago pour se faire un nom. Décidant de s’implanter définitivement dans la région et de faire fructifier leur business, ils transforment une grange à peine achetée en taverne musicale. Accompagnés de leur cousin Preacher Boy, guitariste à en devenir, ils sillonnent le comté en vue de recruter une équipe pour la soirée d’ouverture. Mais il se pourrait bien que cette nuit de festivité et de débauche ait réveillé une force obscure qui n’attendait plus qu’eux.

Ce qui frappe à peine les premières images projetées, c’est l’envie de renouer avec le souffle des productions d’antan. D’aller là où les blockbusters américains ne souhaitent malheureusement plus s’aventurer. Rappelant le fétichisme des 8 Salopards de Tarantino, filmé dans Ultra Panavision 70 presque anachronique, Sinners bande à son tour les muscles. Le ratio ultra large 2.76:1 combiné au format 65mm permet une étendue et une profondeur de champ hallucinantes, intelligemment exploitées grâce la platitude des grands champs de coton s’étendant à perte de vue. Une technique au service du récit, qui permet d’immerger immédiatement le spectateur au cœur de ces années 30.

Sinners Critique Film Ryan Coogler

Dans le même ordre d’idée, un soin maniaque a été apporté à la reconstitution de l’époque. Les quartiers noirs défavorisés tranchent avec la propreté des boutiques réservées aux Blancs, tandis que les costumes mélangent élégance et fidélité. Plein été oblige, l’ambiance est étouffante, la chaleur fait suffoquer et les peaux suintent des litres d’eau par minute. Sinners réussit avec brio son ambiance Southern, évoquant aussi bien le blues et les rituels magiques que tout un pan du 7e art avant lui (Mississippi Burning, La Couleur Pourpre et parfois même le Vampires de Carpenter).

Sans oublier la musique au diapason de Ludwig Göransson, compositeur de presque tous les films de Coogler : du gospel, du blues et même des tentatives modernes totalement anachroniques, qui ne dépareillent pourtant pas. Cette direction artistique savamment étudiée, dont la mise en scène épouse le temps long, permet au récit de développer son univers, d’installer protagonistes et péripéties à venir. Un slow-burner comme on en voit que trop rarement aujourd’hui (on pense beaucoup à la brillante série Sermons de minuit de Flanagan), qui par la démultiplication des points de vue, ne cesse d’installer une tension qui ira crescendo.

La Grange de la peur

Sinners Critique Film Ryan Coogler

Mais comme chez Rodiguez, et surtout comme chez Tarantino (c’était son script), Coogler s’attache à suivre les frasques d’un duo lors du premier acte, s’appuyant sur la performance d’un Michael B. Jordan doublé pour l’occasion. Une performance technique à saluer, tant il est impossible d’apercevoir les ressorts techniques d’un tel parti pris. Au-delà du procédé, on peut mettre en parallèle cette étude de caractères avec celle de Black Panther. Le super-héros éponyme y affrontait un super-vilain quant au devenir du Wakanda, pays africain imaginaire, chacun réclamant sa légitimité au trône. Se jouait avant tout une lutte idéologique, entre un Black Panther pacifiste évoquant Martin Luther King, et son Némésis comme représentation littérale du véritable mouvement Black Panther, plus belliqueux et revendicateur.

Ici Smoke & Stack représentent à leur tour deux figures distinctes, mais leur antagonisme est bien moins grand, Sinners se concentrant davantage sur la communauté au sens large. Plus esclaves mais abandonnés à leur sort et toujours sous la coupe des grands propriétaires terriens (on leur donne des jetons comme monnaie fictive mais inutilisable en dehors des limites de la ville), ne leur reste que la religion et le blues. La question de l’héritage Noir irrigue alors le récit et la mise en scène, avec en point d’orgue ce plan séquence phénoménal à mi-parcours de la projection, parcourant 80 ans de musique lors d’un ballet scénographique à faire pâlir Iñárritu.

Si on a attribué à Jordan Peele une certaine politisation du geste horrifique, ce serait oublié la longue tradition d’un cinéma de genre engagé et enragé. Et si les vampires symbolisent la voracité avec laquelle la culture dominante souhaite s’accaparer cette contre-culture (le blues) qui lui échappe (on se souvient de la «coolitude» d’être noir dans Get Out), Coogler n’hésite pas à faire des ses antagonistes plus que de simples marionnettes théoriques. Quelques lignes de textes et surtout une autre superbe séquence de danse celtique plus tard, les créatures apparaissent davantage comme les fantômes des opprimés des siècles passés, errants, ayant subi les affres du monde, dépossédés de leur âme.

Dans cette lutte permanente entre deux camps, où le scénario renoue pour notre plus grand plaisir avec le vampire traditionnel (ail, pieu, soleil), ne subsistent que des personnages épris de libertés, souhaitant briser les chaînes de leur condition aliénante, notamment due au lourd fardeau de l’Église Catholique (le chef des vampire est un ancien celte converti de force). Malgré des oripeaux politiques par moments un chouia trop en surface pour le propre bien du film, Sinners reste une sacrée proposition vampirique, sanglante et généreuse, qui n’oublie jamais d’être avant tout un vrai film d’horreur.

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