Réalisateur : Karyn Kusama
Année de Sortie : 2005
Origine : États-Unis
Genre : Action Futuriste
Durée : 1h33
Thibaud Savignol : 5/10
Philosophie en flux tendu
La fin des années 90 et le début des années 2000 ont vu nombre de thrillers emprunter l’esthétique Cyberpunk pour intégrer au mieux des problématiques contemporaines. C’est bien connu, la Science-fiction permet surtout de parler du monde d’aujourd’hui, en extrapolant des thématiques jusqu’à leur point de rupture. Dark City, Cypher ou encore Bienvenue à Gattaca, au-delà de matérialiser les progrès technologiques de demain, avaient pour ambition de remettre en question les possibles dérives inhérentes à ces nouveaux outils, tout autant que des ambitions humaines immuables (pouvoir, contrôle, soumission). Aeon Flux s’inscrit dans la droite lignée de ces prédécesseurs.
Adapté d’une série télé animée produite par MTV de 1991 à 1995 (en plein âge d’or Cyberpunk), le long-métrage dépeint une société post-nucléaire, où seulement 1% de la population a survécu. En 2415, il ne reste qu’une seule ville où se concentre l’entièreté de l’humanité restante : Bregna. Aeon Flux (le personnage de Charlize Theron) fait partie d’une organisation rebelle clandestine (Les Monicans) qui vise à renverser la lignée des Goodchild, au pouvoir depuis bien trop longtemps, et dont les agissements sont de plus en plus discutables. Mais lors de sa mission, quelque chose cloche. Incapable d’assassiner sa cible, une cavale s’engage, poursuivie aussi bien par ses anciens employeurs que par le service d’ordre du pouvoir en place. Une trame classique, qui permettra son lot de révélations surprenantes, parfois, et qui à l’image des films cités précédemment, développe cette idée de puissants corrompus et avilis, où une vérité cachée se terre derrière un système bien trop autoritaire et liberticide.
Mais l’influence la plus directe, au-delà du traditionnel 1984 de George Orwell, c’est bien Equilibirum sorti trois ans plus tôt. Deux gouvernements apparaissent de plus en plus autoritaires, des individus disparaissent, les lois sont strictes, la population protégée de l’extérieur et certains endroits demeurent inaccessibles. La conception des cités se répond, avec cette architecture entre design retro-futuriste et architecture de l’Europe de l’Est période Guerre Froide. Pas étonnant quand on sait que les deux films ont été tournés à Berlin, puisant dans ce style si particulier, imposant et glacial, rappelant les heures les plus sombres du siècle dernier. Bien qu’inférieur lors de ses scènes d’action, notamment à cause d’un découpage à la ramasse, Aeon Flux tente à son tour les gunfights léchées, avec sauts et cabrioles au programme. On retiendra tout de même une séquence finale sous des cerisiers en fleur qui s’effeuillent, éphémères et miroirs des enjeux principaux du récit.
Malgré un récit cousu de fil blanc, où chaque protagoniste apparaît plus comme une figure que comme un personnage réellement incarné et une progression trop mécanique, reste les interrogations propres au Cyberpunk. Genre qui derrière la création de mondes et univers toujours plus envoûtants, n’a en réalité cessé de décortiquer l’âme humaine et ses évolutions. Si Ghost in the Shell et Robocop questionnaient notre devenir face à la prépondérance de la technologie dans nos sociétés modernes, Aeon Flux évoque davantage notre rapport au temps et à notre mortalité. Sans rien révéler quant aux directions de l’intrigue, le film retourne à une facette primale de notre condition. Derrière sa façade de nouvelle structure fascisante à abattre et de liberté à récupérer, se dessine une humanité dévorée par ses rêves de grandeur, là où l’inéluctable constitue peut-être le caractère intrinsèque de notre existence.
L’ambition du projet saute aux yeux, grâce notamment à un matériau de base solide, mais la faiblesse de la réalisation, les problèmes de rythme et certains looks instantanément ringards (ces mains à la place des pieds !) empêchent au long-métrage de rester gravé dans nos mémoires. Échec à sa sortie, ramenant seulement 50 millions de dollars pour un budget de 60, et même si la sortie DVD rattrapera un peu le coup, Aeon Flux ne mérite pas la sale réputation qu’il se traîne. Pas aidé par un casting inégal, voire par moment caricatural, surnagent de belles idées, dont un concept principal solidement narré. Une sympathique porte d’entrée vers une série bien plus recommandable.